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jeudi 1 novembre 2018

Ambivalence immobilière





Y'a des gens qui ont une relation amour-haine avec certains de leurs amis ou des membres de leur famille, voire avec leur partenaire.

Moi, j'ai ça avec mon appartement.

J'ai souvent dit que si c'était à refaire, je ne l'achèterais pas, parce que c'est loin d'avoir été l'économie qu'on me faisait miroiter et que ça m'a plus ou moins enchaînée à Monpatelin ces 15 dernières années.

Mais à côté de ça, dans les périodes où ça allait mal avec Chouchou, j'ai toujours su que j'avais un endroit où me réfugier en cas de besoin. Et maintenant que j'ai fini de le payer, je peux respirer un peu du côté financier (même s'il faudrait que j'investisse dans quelques travaux de rafraîchissement).

Ca me gonfle - et ça me ruine légèrement - de passer ma vie à faire des aller-retour en train entre la Belgique et la sud de la France, mais ça me permet aussi de jouer sur deux tableaux: vie de couple et célibat, moi qui suis une solitaire naturelle; grande ville pluvieuse mais où il se passe toujours quelque chose, et moyenne ville ensoleillée très calme mais où j'ai des racines profondes. 

Je déteste être obligée de gérer ma copropriété, à distance la moitié du temps, parce que personne d'autre ne veut s'en occuper. Je déteste avoir toujours une boule au ventre quand j'arrive, en me demandant quelle mauvaise surprise je vais trouver après plusieurs semaines d'absence: une lettre du service de la redevance qui m'impose par défaut alors que je n'ai pas de poste de télé; des souris dans ma cuisine et des cadavres de fourmis sur mon oreiller; un jour sans doute, des infiltrations parce qu'on aura trop tardé à faire le putain de ravalement de façade. Je déteste les défauts que je n'ai vus qu'après m'être installée: la mezzanine mal prolongée qui penche sur le dernier mètre et me donne toujours l'impression qu'elle va s'écrouler, le comptoir de cuisine américaine bien trop haut pour moi, les branchements électriques foireux que je me promets de faire réparer depuis des années. Je déteste les traces de travaux qu'Etre-Anciennement-Exquis a fait mal et à moitié: les horribles traces brunes là où il a tenté de recoller des trucs avec du mastic bien trop foncé, les lattes qui se sont détachées toutes seules du revêtement intérieur de l'auvent. 

Mais j'adore travailler face à la fenêtre de mon bureau-bibliothèque, avec vue sur le soleil couchant et tous mes livres et mes souvenirs rassemblés autour de moi. J'adore bouquiner sur mon vieux canapé  bleu le soir avec un plaid tout doux sur les genoux, un verre de Saint-Amour ou une tasse de thé au jasmin à portée de main et une bougie parfumée qui brûle sur ma table basse. J'adore ma petite chambre sous les toits avec son matelas bien ferme, sa couette moelleuse, son grand miroir au cadre doré et les objets hétéroclites que j'ai accrochés aux poutres du plafond. J'adore ma salle de bain avec son flot de lumière naturelle et sa chouette baignoire d'angle. J'adore mon frigo jaune vif et les oeuvres de jeunes créateurs et d'artistes que j'ai accumulées au fil du temps. J'adore avoir un balcon assez grand pour qu'on puisse y manger à quatre, même si je ne m'en sers jamais hormis pour faire sécher du linge l'été. J'adore que tous les petits commerçants du village me connaissent et sachent quelles sont mes fleurs préférées (les pivoines, les tulipes et les renoncules, dans cet ordre-là) ou quelle variété de pommes j'achète systématiquement (des Chanteclerc, pour faire des tartes). J'adore habiter à 150 mètres de la minuscule gare locale et pouvoir être en ville en moins d'un quart d'heure, bien plus vite que les gens qui y vont en voiture, tout en bénéficiant au quotidien du calme de ma petite commune.

Certains jours, je me maudis d'avoir acheté cet appartement, et certains jours, je m'en félicite. Moi qui ai toujours un avis bien tranché sur tout, c'est la seule chose dans ma vie au sujet de laquelle je suis aussi ambivalente. 

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