Avant de sortir, on se croise dans sa salle de bains pour les dernières retouches maquillage. Je lui vante les mérites de l'Advanced Night Repair d'Estée Lauder; elle remarque que mon parfum vient de chez Guerlain et attrape le flacon pour vérifier ce que c'est exactement; je lui montre mes nouvelles lingettes démaquillantes réutilisables; elle me promet que le gel nettoyant Normaderm de Vichy est la solution à tous mes petits problèmes de peau. Je nous regarde dans la glace et je suis infoutue de dire si un étranger repèrerait tout de suite qu'on est soeurs. Bien sûr, je ne peux pas m'empêcher de nous comparer physiquement. La conclusion est la même qu'il y a six mois, un an, dix ans: j'ai de plus beaux cheveux mais niveau silhouette elle l'emporte haut la main. Je ne suis pas vraiment jalouse, juste un peu envieuse. On ne peut pas lutter contre la génétique.
On prend ma Twingo, plus facile à garer que son paquebot roulant. Je conduis doucement parce que je ne connais pas le chemin. On laisse la voiture au terminus de la ligne A et on finit le trajet en métro jusqu'à Esquirol. On déjeune chez Bapz, le salon de thé où l'on va ensemble à chacun de mes passages sur Toulouse. Il est 13h et on a petit-déjeuné en se levant, mais tant pis: on prend un brunch. Jus de pamplemousse frais, oeufs brouillés et scone, salade, fruits, croque jambon-fromage-tomate. Elle qui répugne à changer ses habitudes tente le thé glacé - et déteste. Moi qui adore goûter des trucs nouveaux, je m'en tiens au Soleil Vert que je connais bien. Je la fais poser avec Régis sur les genoux. Elle râle un peu pour la forme, comme si vraiment je n'étais qu'une gamine puérile avec son doudou, mais finit par se prêter au jeu et noue même une serviette en papier autour de cou de Régis.
Rassasiées, on se dirige vers la rue de Rome et vers la boutique Trait dont on raffole toutes les deux à cause de ses carnets colorés, ses albums photos délirants et sa papeterie ludique. Pour une fois je suis raisonnable et me contente de quelques cartes postales originales à envoyer à mon amoureux. Pendant qu'elle s'attarde dans l'adorable librairie pour enfants/magasin de jouets Milan, je fais une collecte de babioles délicieuses à la Droguerie. "C'est pourquoi faire?" demande-t-elle, quand elle me rejoint, en regardant ma provision toute fraîche de rubans et d'appliques. Je fais un geste vague. "Scraper, customiser mes fringues... Je ne sais pas encore mais je trouverai". "Décidément, tu as pris toute la fibre artistique de la famille", constate-t-elle pour la centième fois.
On passe ensuite aux choses sérieuses: les soldes ont commencé mercredi, et les magasins de fringues nous tendent les bras. En plus, inexplicablement, il n'y a presque personne en ville. Pour faire d'une pierre plusieurs coups, on commence par les Galeries Lafayette. On file droit vers le même rayon; Cop Copine et IKKS sont deux de nos trois marques préférées respectives (sa troisième: Comptoir des Cotonniers; ma troisième: One Step). On fouille les portants, on décroche tout ce qui nous plaît et on fonce vers une cabine libre. Elle essaie d'abord. Je la prends en photo pendant qu'elle se tord le cou pour s'inspecter vue de derrière en râlant, comme toutes les filles du monde, que ce miroir ne l'arrange vraiment pas, et que cette robe portée avec des Converse ne donne rien du tout. Moi je trouve ça super mignon mais il est vrai que si on se sert assez souvent chez les mêmes fournisseurs, on n'a pas franchement le même style. Disons qu'elle fait dans la sobriété de bon goût et moi dans le mélange des genres.
Comme elle n'a presque rien bu ce midi, elle meurt de soif. On s'arrête pour boire un verre dans un café bio qui me fait un peu penser à Exki. Elle prend un Coca light et moi, en souvenir des vacances qui viennent de s'achever, une vraie limonade. On discute de mes amours. Elle demande quand je lui amènerai Hawk. Je la préviens prudemment qu'il est très différent de tous les hommes avec qui j'ai été jusqu'ici. "En même temps, vu les hommes avec qui tu as été jusqu'ici, ça peut être qu'une amélioration", ironise-t-elle. Je sais ce qu'elle reprochait à mon ex et je ne peux que lui donner raison. J'insiste sur le fait que Hawk est quelqu'un d'assez... décalé, comme l'a décrit Framboise qui l'a rencontré le week-end dernier. "Mais j'adore les gens décalés", affirme-t-elle. Connaissant beaucoup de ses amis, je suis un peu sceptique, et néanmoins persuadée qu'elle abordera Hawk avec un esprit ouvert.
On reprend notre tournée. Mes parents nous appellent en fin d'après-midi, pendant qu'on est dans la galerie Saint-George: ils nous attendent chez elle depuis un moment et commencent à s'impatienter. Elle leur propose de rester manger et dit qu'on commandera des pizzas. L'idée leur plaît. Evidemment, je vais gaffer pendant le repas et traiter la chemisette rose de mon père d'"immonde". Evidemment, ce sera ma mère qui la lui aura achetée; elle sera vexée comme un pou et ça gâchera quelque peu la soirée. Pas autant cependant que le fait de devoir conduire David aux urgences à minuit. Mais là tout de suite, je suis juste contente que ma soeur ait envie de prolonger un peu cet après-midi shopping ensemble.