"En amour, il y en a toujours un qui souffre et l'autre qui s'emmerde", disait Gainsbourg. C'est marrant, parce que dans ma première relation sérieuse (Le Breton, 1993-1997), on souffrait tous les deux: trop jeunes, trop intransigeants, incapables de faire les compromis nécessaires sur les valeurs assez radicalement opposées qui étaient les nôtres. Dans la seconde, par contre, (L'Homme, 1999-2006), je souffrais et je m'emmerdais en même temps tandis que lui, euh, s'en foutait vu que son coeur appartenait à l'aïkido et à la seule femme qu'il ne pourrait jamais avoir.
Puis Chouchou est arrivé.
Difficile de dire pourquoi je suis tombée amoureuse de lui. Le début d'une histoire, c'est quand même beaucoup une question d'hormones et de peaux. Difficile aussi de dire pourquoi je l'aime. Oh, je peux vous réciter la liste de ses qualités; mais il n'est pas le seul homme gentil, drôle et cultivé sur cette Terre, et la plupart des autres ne m'ont fait ou ne me font ni chaud ni froid. Par contre, je peux vous dire pourquoi notre relation fonctionne.
Elle fonctionne parce qu'on en a tous les deux fait notre priorité. Quand on a des décisions individuelles à prendre, on se demande d'abord de quelle façon notre choix va affecter notre vie privée. Et quand l'un a besoin de l'autre, l'autre est prêt à tout lâcher pour accourir. Dans les épreuves, il est mon meilleur soutien, et j'espère être le sien. Quand on a eu un gros problème de couple l'an dernier, au lieu de lâcher l'affaire, on a foncé chez une thérapeute. C'était un processus pénible, qui nous a souvent fait grincer des dents et mis dans tous nos états. Mais ça en valait la peine. On ne renonce pas à une relation qui rend heureux 99% du temps à cause du 1% où ça achoppe.
Elle fonctionne parce qu'on communique beaucoup, qu'on se dit les choses telles qu'on les ressent. Jusqu'ici, j'avais toujours eu des partenaires taiseux, qui ne voulaient ou ne pouvaient pas exprimer leurs sentiments. Comme je ne suis ni devin ni télépathe, ça rendait parfois le quotidien difficile à négocier. Là, on se parle. On se parle avec bienveillance, en faisant attention à ne pas se blesser mutuellement, et en cas de désaccord, on cherche une solution acceptable pour nous deux.
Elle fonctionne aussi, évidemment, parce qu'on a des affinités: les mêmes idées politiques et la même conception de la société, le même désir de travailler sur soi pour devenir la meilleure personne possible. Après, le fait qu'il aime le cinéma et moi la lecture, que sa créativité s'exprime par le dessin ou la photo et la mienne par l'écriture ou les loisirs créatifs, ce sont des différences saines qui nous permettent de ne pas nous marcher sur les pieds, de ne pas être en concurrence l'un avec l'autre au sein de notre couple.
Elle fonctionne parce qu'on forme une bonne équipe. Nos compétences sont complémentaires. Il a une excellente vision d'ensemble, je suis une maniaque du détail. J'ai cinquante idées à la minute, mais c'est grâce à son endurance que nous les menons au bout. Et puis chacun assume sa part des corvées communes, ce qui nous évite de nous disputer pour des trucs bêtes et néanmoins essentiels tels que le ménage.
Mais la raison principale pour laquelle notre relation fonctionne, la raison principale pour laquelle je suis plus heureuse avec lui que je ne l'avais jamais été avec personne, c'est qu'on est aussi débiles l'un que l'autre: joueurs, gamins, toujours partants pour faire une connerie. On se parle dans une variante du langage bébé mais deux tons plus aigus, deux crans plus fort et avec un enthousiasme forcené de psychopathes (c'est difficile à expliquer). On aime les nouvelles aventures, et plus c'est farfelu plus ça nous fait marrer. On n'hésite pas à se couvrir de ridicule pour prendre une photo sympa. On est des gens responsables qui ne se prennent pas au sérieux. Peut-être parce qu'on n'a pas d'enfants et pas d'exemple à donner, on se permet toutes les âneries qui nous passent par la tête. On se fait rire mutuellement - avec un humour assez pourri, parfois, il faut bien l'avouer. Pas grave: c'est notre humour pourri. Les Anglophones ont une expression pour ça: "partners in silliness". C'est, je trouve, un bon résumé de notre couple.